Le 12 octobre 2015, Annie Thébaud-Mony, sociologue et directrice de recherche émérite en santé publique à l'Institut National de la santé et de la recherche médicale (INSERM), a tenu une conférence sur un sujet sur lequel elle travaille depuis les années 1990 : la sous-traitance des risques.
Annie Thébaud-Mony est réputée pour ses recherches et son engagement au sein du domaine des maladies professionnelles, elle a refusé en 2012 la Légion d'Honneur pour dénoncer l'indifférence vis-à-vis de la santé des travailleurs.
Annie Thébaud-Mony a commencé par rappeler la législation relatives aux risques professionnels en France : chaque employeur a pour obligation de garantir la sécurité et la santé physique et mentale de ses salariés. Or, elle fait le constat d'une banalisation des risques au travail. Elle étaye son propos en s'appuyant sur le cas de la sous-traitance dans le nucléaire, notamment chez EDF dans le cadre des opérations d'arrêt de tranche impliquant l'arrêt de la centrale pour une durée entre 30 jours et 3 mois afin de réaliser les opérations de maintenance.
Annie Thébaud-Mony qualifie la sous-traitance de facteur de désorganisation du travail de par son système d'appel d'offre. Le donneur d'ordre a la possibilité de mettre en concurrence des entreprises et choisirait celle qui est la moins chère. Ces dernières sont souvent constituées de travailleurs nomades et saisonniers, ce qui présente déjà d'importants risques routiers et psychosociaux.
Annie Thébaud-Mony, chiffres à l'appui, souligne que les salariés sous-traitants sont les plus exposés à la radioactivité, recevant 80% des radiations subies dans les centrales EDF. La réglementation française prévoit que les salariés ne doivent pas dépasser un certain seuil annuel d'exposition au rayonnement, la somme des doses efficaces d'exposition externe et interne pour le corps ne devant pas être plus importante que 20 mSv pour 12 mois consécutifs pour les salariés de catégorie A. Plusieurs travaux scientifiques pointent les risques de la radioactivité même à faibles doses. Même si un système de dosimètres a été mis en place, il existe une pression sociale et économique sur les employés qui les amène à se mettre parfois en danger. Ainsi selon la conférencière « des tricheries ont lieu », non seulement de la part des employés qui laissent de côté leur dosimètre afin de ne pas atteindre la dose annuelle efficace et se retrouver par conséquent au chômage technique, mais aussi de la part des employeurs qui veulent garder leur personnel plus longtemps.
Annie Thébaud-Mony conclut sa conférence sur le fait que si un cadre législatif et réglementaire est posé, il faut aller plus loin et ce dans tous les domaines d'activités. Il faut que la population s'approprie le sujet pour permettre un débat public pouvant amener à une amélioration des conditions de travail et limiter la dissimulation de données réelles en la matière.
Livres recommandés par Annie Thébaud-Mony :
Annie Thébaud-Mony, Travailler peut nuire gravement à votre santé. Sous-traitance des risques, Mise en danger d'autrui, Atteintes à la dignité, Violences physiques et morales, Cancers professionnels, La Découverte, coll. « La Découverte/Poche », Paris, 2008.
Annie Thébaud-Mony, Philippe Davezies, Laurent Vogel, Serge Volkoff, Les risques du travail. Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, La Découverte, Paris, 2015.
Annie Thébaud-Mony, L'industrie nucléaire : sous-traitance et servitude, INSERM-EDK, Paris, 2000.
Svetlana Alexievitch, La supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse, J'ai lu, 2004.
Par Virginie CERVELLE, Méziance CHEKINI et Justyna KOCUR
Etudiants du MIR