Les étudiants de la promotion 2014-2015 ont inauguré une nouvelle manifestation, les Débats du MIR, destinée à accueillir des professionnels et des chercheurs pour analyser une question liée aux risques et aux crises. André-Claude Lacoste, fondateur et ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), président de la Fondation pour une culture de sécurité industrielle (Foncsi) et président de l’Institut pour une culture de sécurité industrielle (Icsi) a ouvert ces Débats par une conférence magistrale.
André-Claude Lacoste a présenté le système de régulation des risques nucléaires en France en le mettant en perspective historiquement, autant sur un plan national qu’international. Après une brève présentation de son objet et la définition de certaines notions qu’il sera amené à utiliser, il souligne d’emblée : une installation nucléaire est certes un objet technique mais elle est également un objet politique ! Et c’est finalement de politique dont il sera question dans la conférence. L’énergie nucléaire, tout comme les Organismes génétiquement modifiés (OGM) ou les nanotechnologies, est un « objet de questionnement national et permanent » nous dit-il. Ces trois thématiques sont caractérisées par des enjeux aux conséquences potentiellement globales et irréversibles et posent alors l’interrogation directe : doit-on autoriser ou interdire leur utilisation ? Sans vouloir répondre à cette question, André-Claude Lacoste se proposa d’aborder le système français de gestion des risques nucléaires en prenant appui sur la genèse, les actions et les valeurs de l’ASN créée en 2006.
André-Claude Lacoste rappelle que l’ASN est fondée sur un contrôle performant, impartial, légitime et crédible des sites nucléaires ; est en jeu la reconnaissance des citoyens et de la communauté internationale. L’ASN assure, au nom de l’Etat, de manière indépendante, le contrôle de toutes les activités civiles de l’industrie nucléaire, touchant les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. Elle doit ainsi réglementer, autoriser et contrôler 58 réacteurs en France, auxquels il faut ajouter une centaine d’autres installations diverses (réacteurs de recherche, installations médicales, transports…). Elle se doit aussi d’intervenir dans les situations d’urgence, et contribue de plus à la formation citoyenne. Elle repose sur deux binômes de valeurs, compétence/rigueur et transparence/indépendance.
André-Claude Lacoste souligne toutefois que la sûreté nucléaire française n’a pas toujours été dans cette position d’indépendance. Il lui aura fallu passer par un long cheminement, de près de 40 ans, pour atteindre ce statut. A l’origine, pendant la seconde guerre mondiale, l’exploitation et la recherche sur les questions nucléaires étaient confondues au sein du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). D’une part, la sûreté va se spécifier, d’abord en commissions, puis à partir de 2001 en institut (IRSN). D’autre part, une instance de régulation va émerger progressivement, il faudra attendre l’année 1973 pour que l’Etat crée sa propre structure, le Service central de sûreté, dépendant du Ministère de l’Industrie. Il évoluera ensuite en une Direction Générale de la sûreté et de l’environnement qui sera rattaché aux Ministères de l’Industrie et de l’Environnement. Finalement, en 2006, l’ASN sera créée sous le statut d’autorité administrative indépendante (AAI). André-Claude Lacoste souligne que si l’ASN est soucieux de maintenir son indépendance vis à vis des producteurs de l’énergie nucléaire, son travail est animé par une volonté de rencontre, de dialogue, notamment entre le contrôleur et le contrôlé, pour qu’une estime puisse s’établir entre les deux partis prenantes et ainsi être plus efficace dans la gestion des risques.
André-Claude Lacoste traita ensuite d’une question clé : la répartition de la responsabilité entre les différents acteurs de l’énergie nucléaire. Il insista sur la responsabilité première de l’entreprise productrice d’énergie nucléaire : « l’exploitant est le premier responsable en cas d’incident ou d’accident nucléaire ». Il illustre son propos par le cas de la catastrophe de Fukushima et de l’entreprise TEPCO qui nia sa responsabilité en justifiant d’une certaine conformité réglementaire. Or la responsabilité n’est pas transférable et l’exploitant demeure de facto le responsable. Il souligna toutefois qu’un exploitant ne pouvait être tenu pour seul responsable : il y a également une responsabilité collective entres exploitants, la responsabilité de l’Etat à travers l’Autorité de sûreté ainsi que la responsabilité de constructeurs de centrales tels qu’Areva. Cette responsabilité se pose pour chaque pays développant une industrie nucléaire mais un devoir de contrôle et de prévention implique un questionnement sur la responsabilité collective à l’échelle mondiale concernant la sûreté nucléaire, et ceci est d’autant plus d’actualité dans le contexte post-Fukushima.
La question de la gestion de la sûreté nucléaire à l’échelle internationale a été une préoccupation constante nous dit André-Claude Lacoste. L’accident de Fukushima a mis en exergue les difficultés de coordination et de gestion des risques nucléaires dans un cadre supranational. Difficulté politique d’une part : « que faire face à un pays potentiellement dangereux ? » ; divergence de perception d’autre part : les américains prônant un retour au « business » quand les français imposent à EDF une série d’évaluation dite complémentaire de sûreté, relativement coûteuse ; « capacité à parler vrai sur les risques nucléaire » qui varierait selon les pays. C’est cette préoccupation internationale qui a conduit André-Claude Lacoste à œuvrer la fondation de plusieurs associations internationales réunissant les dirigeants des autorités de sûreté nucléaire.
Au cours du débat, André-Claude Lacoste, réputé pour son franc parlé, profita d’une question sur le cas Fessenheim pour assener une critique au mouvement écologique, inattendue pour ceux qui connaissent le sens politique de l’intervenant : il déplore que le mouvement critique soit trop faible et trop désorganisé pour incarner une réelle opposition dans les débats sur le nucléaire. Une question sur l’avenir des déchets radioactifs fut l’occasion pour lui de renvoyer la patate chaude aux parlementaires qui selon lui doivent assumer leur responsabilité. Et il s’appuya sur une question relative aux évaluations complémentaires de sûreté pour féliciter EDF d’avoir joué le jeu tout en critiquant l’aspect orienté des démarches d’évaluation par l’obligation de « montrer que l’on fait quelque chose ».
Finalement André-Claude Lacoste est venu expliquer à un public de futurs analystes et gestionnaires des risques que malgré la forme normative et technique que prend généralement la gestion des risques, elle dépend avant tout d’enjeux politiques !
Par Clément Fernandez et Mathias Roger
Etudiants du MIR